Les « deux cents familles »
« Deux cents familles sont maîtresses de l’économie française et, en fait, de la politique française. Ce sont des forces qu’un État démocratique ne devrait pas tolérer, que Richelieu n’eût pas tolérées dans le royaume de France. L’influence des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit. Les deux cents familles placent au pouvoir leurs délégués. Elles interviennent sur l’opinion publique, car elles contrôlent la presse. »
C’est avec ces mots prononcés en 1934 au congrès du Parti radical qu’Edouard Daladier dénonce les « deux cents familles » et annonce le ralliement de son parti aux socialistes et aux communistes. Cette accusation lancée contre les « deux cents familles » constitue un ciment du Front populaire.
Cette expression de « deux cents familles » représentait les deux cents plus gros actionnaires (sur environ 40 000) de la Banque de France, alors banque privée. Car depuis son instauration sous Napoléon, l’institution chargée de veiller à la création et à la circulation de liquidités en France était privée et chacun pouvait donc en devenir actionnaire. Les statuts de la Banque stipulaient aussi que seuls les 200 plus gros actionnaires pouvaient élire les membres du Conseil de régence de la Banque. Les quinze régents étaient alors les représentants des milieux des affaires. Le Front populaire mettra fin à ce pouvoir de nomination des dirigeants par les plus gros actionnaires (une voix pour chaque actionnaire à partir de 1936).
Cette dénonciation d’une élite financière (ou autre) censée posséder tous les pouvoirs sur le pays se retrouve régulièrement à chaque crise. Dans les années 1930, l’opinion publique (encline à voir des complots partout) a rapidement pris ces « deux cents familles » pour responsables de la crise économique qui touche alors la France. Une résurgence de ce phénomène est aussi observable actuellement aux Etats-Unis avec le mouvement des 99% contre les 1% (les 99% représentant les masses laborieuses et les 1% représentant les financiers ou dirigeants les exploitants).
Qu’ils soient justifiés ou non, ces mouvements d’humeur publique, à la recherche de coupables pour leur situation, s’associent bien avec une autre forme de protestation qui a émergé en France mais qui est commun aux Etats-Unis : le Poujadisme. Ce mouvement représente lui aussi une colère des « masses » contre les « élites » mais cette fois-ci dirigé contre le gouvernement, l’administration et les dirigeants politiques, accusés de profiter de leurs fonctions et d’étrangler les citoyens par les taxes et les législations.
Ces types de réactions aux périodes de crises économiques, qu’elles soient générales pour celle des années 1930 ou 2008, ou qu’elles soient celles d’une catégorie de la population pour le Poujadisme, se répètent toujours selon le même schéma mais sous un nom différent. Quelle meilleure illustration de l’Histoire comme « éternel recommencement » ?